Au chevet de sa soeur

Le temps était à l'orage, en cette fin d'après-midi.
Alexia, revêtue d'une longue jupe rouge en toile de coton et d'un épais pull blanc, se tenait debout, les bras croisés, devant la fenêtre d'une petite chambre, ses grands yeux bleus fixés sur une ligne d'horizon indéfinissable ... Elle paraissait étrangement absente. Derrière elle, un lit, occupé par une autre personne, la couverture remontée à mi-hauteur laissant apparaître un dos nus, légèrement cambré à sa base.
Un gémissement se fit soudain entendre, précipitant la jeune femme jusqu'alors aussi immobile qu'une statue, au chevet de celle qui venait de se réveiller. Assise sur le lit, à même les draps, Alexia, se penchant vers le visage de cette personne, en écarta d'un geste de la main une longue mèche couleur feu, dévoilant ainsi les traits de sa soeur jumelle Nymphea. Le ton de sa voix trahissait une profonde inquiétude quant à l'état de santé de cette dernière.

Alexia, tenant la main de sa soeur, et glissant ses doigts entre les siens : Je suis là, mon coeur ... Reste couchée, et, surtout, ne bouge pas! *De sa main libre, cherchait quelque chose au fond de l'une de ses poches* Je vais te passer encore un peu de pommade ... *Observant d'un air amusé la fiole aux propriétés curatives qu'elle venait de retrouver posée à côté d'elle, Alexia tenta d'arracher un sourire à sa petite soeur* Nous étions censées investir nos économies dans une toute autre sorte de fioles, tu sais ...

Aucune des deux soeurs ne roulait sur l'or, et celle qui officiait présentement comme infirmière de fortune auprès de l'autre n'avait pas regardé à la dépense, quant à la qualité des baumes qui lui furent proposés. Alexia se sentait si impuissante devant le mal dont souffrait sa moitié, qu'elle enrageait intérieurement d'avoir fait l'impasse sur les enseignements médicaux, quelques années plus tôt. Extérieurement, cette colère rentrée s'exprimait par une larme, qui venait de temps à autre tracer son sillon sur l'une de ses joues.
Cela faisait une journée maintenant qu'elles n'avaient pas quitté la petite chambre de cette auberge coquette, sur les hauteurs d'Ascalon.
Une journée que l'état de celle qui faisait battre son coeur n'avais cessé de se dégrader, la faisant se ronger les sangs davantage au fur et à mesure que le temps passait.
Une journée qu'elle lui avait administrée cette gifle comme premier traitement pour convalescente, constatant le caractère éminemment buté de sa tête de mule de soeur, qui rechigna alors à conserver le lit ...

Alexia, le regard emprunt de regrets, caressant du bout de ses doigts fins et délicats la joue encore légèrement rougie de Nymphea : J'aurais ... J'aurais préféré ne pas avoir à en arriver là ... Mais reconnais aussi que tu ne me laisses pas toujours le choix, petite soeur chérie *leva les yeux vers le plafond de leur petite chambre, toute la tendresse du monde pouvant s'y lire en cet instant, ces yeux couleur azur qui débordaient d'amour pour cette partie d'elle-même, clouée au lit, résistant courageusement à la douleur qui l'assaillait*

A ces mots, Alexia releva la tête, croisant par inadvertance le reflet de son visage dans un miroir posé sur la table de chevet : ses joues venaient de prendre une couleur qui trahissait allègrement la réciprocité de ses sentiments à l'égard de la jeune femme allitée! Mais la Tyrie toute entière pouvait bien trouver à s'offusquer de leur relation incestueuse, les deux jumelles en avaient cure. Fermant les yeux, Alexia repensa émue à ce soir où, du haut d'une petite colline surplombant Ascalon, elles avaient décidé de retirer les chaînes qui entravaient inutilement leur coeur depuis deux trop longues années.

"Pour vivre heureuse, il faut laisser parler son coeur ... Que dit le tien, Alexia ? J'ai l'impression que nous ressentons toutes les deux la même chose, mais que nous n'osons pas nous l'avouer ..."

Les paroles de Nymphea resteraient à jamais gravées dans sa mémoire.
Défaisant le noeud d'un mouchoir de belle facture qui enveloppait, semble-t-il, quelque chose de très précieux, Alexia s'en servit pour essuyer délicatement la petite larme qui coulait le long de la joue de sa moitié.

Alexia, reposant le mouchoir sur ses genoux, arborant un visage radieux : il y a tant d'hommes sur cette terre ... Et il aura fallu que je tombe amoureuse de ma propre soeur, jumelle de surcroit! *lui déposa furtivement un baiser au coin des lèvres!*

Toujours assise sur le lit, elle contemplait, les yeux remplis de mille diamants, la femme qui partageait aujourd'hui sa vie.

Alexia, s'allongeant sur le lit à la gauche de sa petite soeur, puis passant un bras protecteur autour de sa taille : ... Je t'aime, mon coeur. A un point qui pourrait t'effrayer, voire te donner envie de me fuir ... *songeuse* Tu n'as aucune idée de ce que je suis capable de faire pour te garder auprès de moi. Tu t'es attachée à une vraie vipère, tu sais ... *posa sa tête contre sa nuque, fermant les yeux et respirant à pleins poumons l'odeur subtile de rose qui émanait de la surface veloutée de sa jumelle*
Mon coeur ? *se saisit sans bruit, ni mouvement brusque, de l'objet qui était jusqu'à présent dissimulé dans le mouchoir, et qui reposait depuis sur la couverture, entre les deux jeunes femmes. Puis le fit glisser lentement le long de la colonne vertébrale de son amour, du haut de ses fesses à la base de son petit cou* J'ai la main froide, tout d'un coup, tu ne trouves pas ? *sourire espiègle* Ferme les yeux un instant, s'il te plaît ...

Prenant appui sur ses coudes, Alexia se releva légèrement, passant avec une infinie précaution une chaîne de couleur dorée autour du cou de sa soeur. Au bout de cette chaîne, pendait une pierre précieuse en forme de coeur, de la taille d'une pièce d'or ... Un saphir, d'un bleu éclatant, qui paraissait absorber la lumière du soleil pour la restituer en une merveilleuse harmonie de nuances bleutées ...




A dire vrai, le collier valait davantage pour sa pierre précieuse que pour sa chaîne en or. Cette dernière ayant été confectionnée par Alexia elle-même, le travail n'avait rien de commun avec celui d'un orfèvre : il était grossier, et les anneaux qui le composaient pas vraiment ronds, pour ne pas dire à géométrie variable. Mais la jeune femme y avait mis tout son coeur, et malgré toutes ses imperfections, s'était montrée plutôt satisfaite du résultat final ...