L’air était frais ce matin dans les montagnes. Le soleil se levait à peine, donnant des reflets orangés au ciel et aux quelques nuages le parsemant. La nature se réveillait peu à peu. Aux chants des oiseaux se mêlaient des sifflements d’insectes en tous genres. Pour beaucoup, ce tableau aurait évoqué le début d’une journée radieuse. Pourtant, la jeune femme qui grimpait dans la neige ne souriait pas.
Ses bottes s’enfonçaient et crissaient dans la fine poudreuse. L’arc immense qu’elle tenait dans la main droite y traçait une ligne presque continue. Ereintée, elle haletait, une légère vapeur s’échappant de ses lèvres brûlées par le froid. Elle était très jeune, une vingtaine d’années à peine. Cependant, ses traits étaient tirés, des cernes violets cerclaient ses jolis yeux bleus et courbée en deux, elle continuait son ascension comme si le poids des ans l’accablait.
Peu de personnes auraient reconnu Kyrielle, cette jeune rôdeuse pleine de vie, qui aimait tant courir à travers la forêt. D’ailleurs, ceux qu’elle connaissait n’étaient plus ou étaient partis vers d’autres contrées. Il y a quelques temps, cette idée l’aurait rendue profondément triste mais à présent elle n’en avait cure ; elle allait disparaître à son tour.
Elle marchait depuis des heures, des jours peut être, elle n’aurait sut le dire tant elle se sentait hors du temps et d’elle-même. C’est alors qu’elle trébucha sur une branche qui sortait de la neige et emportée par le poids de son corps, s’affala de tout son long. Quelques mois auparavant, elle aurait évité la chute aisément mais ce temps là était bien révolu. Le visage enfoui, elle ne respirait plus mais ne le releva pas.
Le froid lui faisait mal dans la tête. Son front était glacial, tandis que sa bouche et son nez étaient emplis de neige. Au bout d’un certain temps, elle sentit son esprit partir. Oh oui, il était temps de dormir et d’abandonner toute cette histoire qui n’avait que trop duré déjà. Pour la première fois depuis des semaines, elle esquissa un sourire.
Il faisait vraiment sombre et elle lâchait prise peu à peu. Soudain, elle sentit une douloureuse vrille qui résonna dans sa tête comme si elle rebondissait sur les parois de son crâne. C’était insupportable. Etait-ce donc cela la mort ? Elle voulut crier mais avala davantage de neige et fut prise d’une quinte de toux. Son corps était parcouru de violents spasmes. Pourtant, elle sentait son esprit glisser de plus en plus vite, tout lui échappait. Elle comprit alors ce qui lui arrivait. C’était « l’autre », sa voisine de toujours, celle qui lui dévorait son âme et ses forces.
Elle ne voulait pas qu’elle meurt. Enfin, pas tout de suite. Il fallait terminer l’inéluctable processus engagé il y avait maintenant presque 15 ans. Encore quelques secondes et elle n’aurait plus aucun contrôle sur son enveloppe charnelle.
Et en effet, quelques instants plus tard, la rôdeuse se relevait péniblement, un rictus aux lèvres. Elle cracha la neige au sol, une substance brune et rougeâtre l’accompagnait et se moucha dans ses doigts. Ses lèvres anesthésiées par le froid arrivèrent à peine à articuler : Hellion, ma fille...
Hellion Obscure