Alors qu'elle descendait lentement les marches qui la séparaient du grand hall, Alexia s'arrêta un court instant devant l'une des petites lucarnes donnant sur l'extérieur. A une heure aussi avancée de la nuit, les abords de la taverne paraissaient lugubres, comme hantés par des ombres. Ci et là se détachait une silhouette intriguante, celle d'un homme revenu du monde des esprits, à défaut une créature claudiquante dotée -à n'en pas douter!- de pouvoirs défiant l'imagination. Finalement, alors qu'il passa devant un lampadaire, un gros chien, auquel le hasard d'une mauvaise rencontre aura retiré l'usage d'une patte, suivi de son maître, un pauvre aveugle désespérant retrouver sa route dans ce noir absolu.
Alexia, une main posée sur le fronton de la lucarne, suivant la scène d'un regard compatissant : Les malheureux... Condamnés à achever leurs jours la croix de leur handicap sur le dos... Cette ville est décidément devenue le refuge de la misère. Les moyens de notre Ordre sont si limités... Qu'attendent donc ces pauvres hères de notre part ? Nous ne sommes pas organisés pour soutenir un siège. Il nous est impossible de leur garantir la protection qu'ils s'imaginent à tort absolue de ce côté-ci de notre enceinte...
Arrivée en bas de l'escalier, quelques clients sévèrement éméchés lui firent comprendre sur un ton grivois qu'il était inhabituel de croiser à une telle heure et dans un troquet, une jeune femme en nuisette ébène, s'y promenant pieds nus.
En d'autres circonstances, la guerrière leur aurait sans nul doute fait amèrement regretter leurs paroles, lourdes de sous-entendus scabreux. Seulement, ce soir-là, elle paraissait indifférente au monde qui l'entourait, comme préoccupée par quelques pensées ou nouvelles la touchant en plein coeur.
La mine sombre et le regard absent, elle se dirigea vers le comptoir, se saisit d'une bouteille de l'un des alcools les plus forts de la réserve, et alla s'asseoir à une table, non loin du nécromancien qu'elle ne reconnut, de toute évidence, pas.
Sortant d'un geste mal assuré sa flûte en cristal, elle prit soin de remplir celle-ci à ras-bord, avant d'y plonger discrètement quelques cachets.
Prenant une profonde inspiration, elle porta la coupe à ses lèvres, laissant le liquide s'écouler lentement au fond de sa gorge, cet alcool si intense qu'il semblait faire naître quelques larmes au coin de ses grands yeux couleur azur...