Une daeva, fille de daevas
Née "daeva" (sorte de divinité) alors que l'écrasante majorité des élites de Pandaemonium, capitale d'Asmodae, ne le deviennent qu'au terme d'un long parcours initiatique s'étalant sur plusieurs années, formée à la prêtrise depuis son plus jeune âge, Alexia Ombrepierre, unique descendante d'une des plus anciennes et illustre familles du pays, semblait avoir son destin tout tracé.
Recevant quotidiennement la visite d'un professeur chargé de lui inculquer le savoir de base de toute future prêtresse qui se respecte, la jeune demoiselle excellait dans la maîtrise des écrits sacrés, faisant montre d'une certaine orthodoxie dans leur application à la plus grande satisfaction de ses parents.
Une vocation contrariée par une personnalité double
Les années passaient et ses connaissances se développaient à vitesse vertigineuse. Tout paraissait aller pour le mieux dans le meilleur des monde, si ce n'est que la jeune femme semblait régulièrement victime d'absences, se couchant dans le lit confortable du logis familial pour se réveiller quelques heures plus tard à même l'herbe, couverte de sang, une lourde épée à la main...
Ne s'en inquiétant pas outre mesure, sa mère lui expliqua que cela lui était toujours arrivé, aussi loin qu'elle s'en souvienne, mettant la chose sur le compte du surmenage.
Malgré tout, le phénomène s'amplifait...
Un beau matin, tandis qu'elle s'apprêtait devant sa glace, enfilant avec grâce son costume de novice cléricale, Alexia sentit la tête lui tourner. Et bien qu'elle ne soit que fraîchement sortie du lit, ses paupières se faisaient déjà lourdes... Luttant contre cette force qui la poussait à rejoindre les bras de Morphée, elle crut voir son reflet dans le miroir retirer violemment le vêtement religieux dont elle s'était parée et, dans un accès de rage, le lacérer de ses griffes! Tandis que l'esprit de la jeune aspirante à la prêtrise s'évaporait, un autre le remplaçait, définitivement plus guerrier, foulant aux pieds un uniforme qu'elle méprisait pour la faiblesse dont il était à ses yeux le symbole.
« Alexia la guerrière » (plus tard appelée « Selina »), à la différence d'« Alexia la novice », n'avait foi qu'en son épée. Inconscients de l'ampleur du trouble que connaissait leur fille, les parents ne s'étonnaient plus des changements brutaux de comportement que celle-ci pouvait afficher. Et le fait qu'elle se révèle aussi douée dans l'art du maniement des armes les rendaient plus que fiers. Seulement, cette attirance pour le sang et les batailles n'était pas du goût du prêtre chargé de l'instruire...
Avec le temps, chacune des deux personnalités apprit à demeurer consciente quand l'autre se manifestait, faisant naître des souvenirs et des expériences communs. C'est ainsi que, malgré sa répugnance naturelle à voir le sang, la prêtresse s'y fit. Tandis que la guerrière cessait de piétiner l'uniforme de prêtrise et tolérait l'enseignement du prêtre à la maison.
L'attentat manqué
Même si étrange à bien des égards, cette vie était belle, pleine de bonheur. Âgée de 9 ans, Alexia se révélait aussi bonne prêtresse que combattante. En guise de cadeau d'anniversaire, un expéditeur inconnu lui fit parvenir un collier aux vertus particulières : en effet, celui-ci, suivant la domination d'une personnalité sur l'autre, voyait la pierre précieuse dont il était orné virer du rose (prêtresse) au rouge vif (guerrière). A première vue sans réelle utilité, l'objet n'en témoignait pas moins d'un prodigieux travail d'orfèvre, et la pierre en elle-même, brillant de mille feux, faisait bien la taille d'un oeuf. Une lettre avait été jointe à ce présent, l'invitant à faire la connaissance de ce qui semblait être son mystérieux admirateur. Et c'est ainsi que, parée de cet irrésistible bijou, la jeune femme se rendit à son rendez-vous...
L'adresse figurant au dos de la missive la conduisit à ce qui semblait être un temple, bien qu'aucun signe extérieur ne puisse en attester de manière formelle. Pénétrant à l'intérieur, elle s'engagea dans la nef centrale, pensant retrouver l'énigmatique commanditaire devant ce qui avait tout l'air d'être un autel, un autel de facture antique comme le clergé n'en utilisait plus depuis bien longtemps. La curiosité la poussa à s'en approcher davantage... Un orbe trônait en son centre. Avançant les mains vers l'étrange objet, elle en caressa la surface lisse, cherchant à en définir l'utilité.
Soudain, la porte de referma derrière elle dans un claquement sinistre, et l'orbe se mit à briller! Une brillance de plus en plus irradiante, qui provoqua en elle des maux de tête terribles! Plus elle souffrait, plus le mystérieux globe se remplissait d'une énergie couleur de sang... A bout de force, Alexia commençait à s'écrouler devant l'autel quand le médaillon, renvoyant jusqu'alors des reflets rosés, pris soudainement une teinte écarlate. Se relevant péniblement, la jeune femme tira l'épée du fourreau qui pendait à son flanc et, bien qu'elle se soit trouvée à deux doigts de l'évanouissement, parvint dans un dernier élan à en abattre le manche sur le maléfique artefact! L'orbe explosa, libérant en une seule vague toute l'énergie qu'il contenait, laquelle réintégra le corps d'Alexia avec une brutalité telle qu'une nouvelle explosion s'en suivit!
L'avènement des deux entités
Tandis que la poussière se dissipait, deux demoiselles à l'allure rigoureusement identique apparurent allongées sur le sol, chacune revêtue d'une moitié de la longue robe que portait Alexia à son arrivée. Encore inconscientes, elles n'en étaient pas moins vivantes. Titubante et visiblement engourdie, l'une des deux rampa sur le sol quelques minutes avant de s'aider du mur pour se redresser. Voyant le pendentif échoué à côté de l'autre corps, elle le ramassa, puis se pencha sur l'inconnue qui portait miraculeusement un bout de sa propre robe.
Non seulement elle portait la même robe, mais ses cheveux étaient pareils aux siens, jusque dans la couleur et la manière de les coiffer! Ses traits également lui étaient plus que familiers, puisqu'elle les voyait chaque jour dans la glace. Stupéfaite, elle posa l'oreille contre sa poitrine, et entendit son coeur battre... Se sentant étrangement seule dans sa tête, l'idée lui vint de nouer le pendentif autour du cou de la jeune femme restée à terre. Celui-ci, au contact de la peau, renvoya immédiatement un vif éclat sanguin. Elle le dénoua alors, puis se le passa autour du cou : le rubis brillait désormais d'un rose limpide... Visiblement plus atteinte qu'elle-même ne l'avait été, il était clair que l'orbe avait cherché à se débarrasser de la personnalité guerrière d'Alexia, à présent dotée de sa propre enveloppe. A moins que l'orbe ait cherché à extraire la personnalité religieuse d'un corps à la base destiné à une guerrière... Le fait que chacune se soit retrouvée avec la moitié des vêtements de l'autre témoignait en tout cas d'un processus de division ayant abouti à séparer les deux côtés d'Alexia. La chance ayant voulu que la novice se réveilla la première, la guerrière ne tarda pas à profiter des talents de soigneuse de sa « moitié », lesquels la remirent vite sur pieds. Stupéfaites des conséquences de l'explosion de l'orbe, les deux demoiselles ne se quittaient plus du regard, appréhendant déjà la réaction des parents en les voyant franchir ensemble le pas de la porte de leur maison.
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